De la Pyramide à la Rivière : deux amers uniques

 

Dans la seconde moitié du xixe siècle, la pointe nord de l’île de Ré s’enrichit de deux nouvelles constructions destinées à guider les marins fréquentant cette côte agitée et propice aux naufrages. Ces édifices, dont les structures atypiques interpellent encore de nos jours le visiteur, sont des amers. La pyramide des Chaumes est érigée près du phare des Baleines à proximité de la grande plage de la Conche. L’amer de la Rivière est quant à lui construit aux Portes-en-Ré, en bordure de ce qui est aujourd’hui la forêt du Lizay. Repère  fixe  sur  la  côte,  identifiable  et identifié,  l’amer  est  utilisé  par  les  navigateurs  pour  se  repérer  d’assez  près pendant  le  jour  et  ainsi  reconnaître  ou rectifier une position géographique. Il est au jour ce que le phare est à la nuit. Les amers  constituent  un  des  trois  types  de balisage du littoral avec les balises et les bouées.  On  en  distingue  trois  types.  Le premier consiste en des repères naturels tels  de  grands  arbres  ou  des  rochers  de forme atypique. On devine aisément que les premiers îliens ayant pris la mer pour pêcher  ou  traverser  le  pertuis  avaient identifié des repères naturels sur la côte pour s’orienter et se situer par rapport à des  passages  difficiles  et  dangereux.  Le second type d’amer est un objet artificiel souvent  remarquable  par  sa  dimension, facilement  identifiable  pendant  le  jour pour  le  navigateur  et  apte  à  caractériser une partie de la côte mais n’ayant pas cette fonction principale. Ce sont par exemple les clochers d’églises ou bien les moulins à vent que l’on retrouve sur les documents de navigation et les cartes de l’Isle de Ré de l’Ancien Régime. Une liste des amers de l’île de Ré dressée en 1807 en recense quatre principaux : le clocher de Sainte-Marie, la vieille église de Saint-Laurent, le clocher d’Ars et celui des Portes. Enfin, il y a la construction de monuments ayant  comme  fonction  unique  de  servir d’amer  mais  aussi  de  balisage  dont  les phares  constituent  les  éléments  les  plus remarquables. C’est dans ce cadre précis que l’amer dit pyramide des Chaumes et l’amer  de  la  Rivière  sont  construits  au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.

A partir de 1792, la surveillance des phares, amers et balises dépend du ministère de la Marine. Mais la fréquentation de plus en plus importante des routes maritimes incite Napoléon Ier à confier ce travail à un service spécifique  de  la  direction  générale  des Ponts et Chaussées, le bureau des phares et balises, créé à cette fin le 7 mars 1806. Un document important sur la construction des amers de l’île de Ré émanant de ce service  est  disponible  dans  le  fonds  du Service maritime conservé aux Archives départementales de la Charente-Maritime. Intitulé «Dessins et renseignements sur les balises, bouées et amers de la subdivision de Saint-Martin de Ré» et dressé le 18 juin 1886,  il  nous  renseigne  sur  les  anciens clochers peints servant d’amers dans l’île de Ré comme ceux de Sainte-Marie-de-Ré, de Saint-Laurent-de-la-Prée et de Saint-Martin-de-Ré (voir prochain numéro les clochers peints de l’île de Ré) mais aussi sur les deux amers atypiques situés sur le littoral nord de l’île à savoir la pyramide des Chaumes et l’amer de la Rivière située sur la commune des Portes-en-Ré.

La pyramide des Chaumes ou pyramide de la Conche des Baleines comme elle est parfois appelée dans les dossiers des Ponts et Chaussées est un amer situé à 600 mètres à l’est du phare des Baleines, à la position exacte de 46°14’37’’ de latitude nord et 3°53’30’’ de longitude ouest. Le phare des Baleineaux se trouve à gauche de la pyramide et les deux constructions  étaient  utiles  aux  navigateurs.

Dessin pour la construction de la pyramide des Chaumes en 1866. 

(Archives Départementales de la Charente-Maritime)

Mentionnée dès 1831 sur les documents administratifs, il n’existe cependant que peu d’éléments sur sa date de construction. Cependant les écrits d’Hervé Roques permettent de situer son édification vers 1824 et dressée en 1866 à la demande de l’ingénieur Charles-François BEAUTEMPS-BEAUPRÉ dans le but de faciliter ses travaux de cartographie des côtes. Considéré comme le père de l’hydrographie française, BEAUTEMPS-BEAUPRÉ et ses équipes passèrent plusieurs mois sur l’île de Ré afin d’y établir des cartes de navigations qui font encore référence aujourd’hui.

Formée d’un socle carré que surmonte un obélisque, c’est une pyramide quadrangulaire de 1,50 m de base et de 4,55 m de hauteur au-dessus du sol (correspondant à 9 m au-dessus des hautes mers ou 11,04 m du 0 des cartes marines). Elle interpelle sur son architecture atypique sur une île peu habituée à cette référence à l’ancienne Égypte. Son chapiteau est en granit gris. Le reste de l’édifice, maçonné, est blanchi au lait de chaux, offrant ainsi le contraste traditionnel noir et blanc des amers facilement identifiable de la mer. Elle donne avec le clocher d’Ars l’alignement au sud 37°  est.  L’amer  a  malencontreusement été  abîmé  pendant  l’hiver  2008  par  un engin  de  chantier,  mais  il  a été restauré  et  la  construction  consolidée. Cette forme pyramidale est fréquemment employée pour la construction des amers ou  des  balises.  La balise du  Roître des Bassées  par  exemple,  édifiée  en  1873 sur la dune près de la forêt de la Coubre pour servir aux opérations hydrographiques de l’embouchure de la Gironde, est une construction pyramidale. A la même période,  en  1882,  c’est  une  pyramide  à base triangulaire que l’on installe sur l’île d’Oléron. Cet amer est une construction en bois de 9,50 m de hauteur. Dressé sur la dune à l’extrémité sud de l’île, à 700 m environ au nord des balises de Gatseau, il sera démonté quelques années plus tard, à la fin du XIXe siècle.

L’Amer de la Rivière 

L’amer de La Rivière se situe à 2 milles au  N-82°  E  du  phare  des  Baleines  positionné  46°14’55’’de  latitude  nord  et 3°51’2’’de longitude ouest. C’est un mur vertical terminé par un pignon de 0,50 m d’épaisseur, 2,95m de largeur et de 7,40 m  de  hauteur  avec  contreforts  de  0,50 m à la base. Le sommet du mur se situe alors à 17 m au-dessus des hautes mers. Un document précise qu’il se situe à 16, 39m au-dessus du 0 des cartes marines. La partie supérieure, ouverte d’une lucarne, était  à  l’origine  peinte  en  noir  tandis que le reste de l’édifice était blanchi à la chaux. Ceci rappelle le clocher de l’église d’Ars-en-ré. Il est construit à la même époque que  la  pyramide.

Aujourd’hui,  l’amer est toujours visible dans le hameau de la Rivière au bout de l’impasse  de l’Amer !! bien sûr . Cependant il est caché des navigateurs par les 153 ha de la forêt domaniale du LIZAY, plantée après la Seconde Guerre mondiale sur les dunes de sable de la côte qu’elle contribue à fixer. Malheureusement, nous ne savons pas avec exactitude pour quelles raisons ces deux amers ont été construits à ces endroits bien précis. Michel Colineau, dans l’ouvrage collectif paru sur la commune  des  Portes,  émet  l’hypothèse que ces deux amers sont en relation directe avec le phare du Haut-Banc du Nord ou phare des Baleineaux construit en 1853 au large du phare des Baleines. Le gardien du phare devait régulièrement être relevé et ravitaillé. Une chaloupe était mise à la mer depuis une jetée aujourd’hui disparue près de la Pyramide des Chaumes. La traversée était difficile pour se rendre au phare des Baleineaux situé dans une zone rocheuse.

Les  marins  utilisaient  trois  amers  pour s’orienter et se guider, le clocher d’Ars, la  pyramide  des  Chaumes  et  l’amer  de la Rivière.   

 

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